Se disputer peut se révéler bénéfique pour la santé, affirme une étude américaine publiée dans le «Journal of Family Communication » et on ne mesure pas assez l’impact d’une colère enfouie ou d’un ressentiment sur la santé.

Les ménages qui ne parviennent pas à exprimer leur colère ont un taux de mortalité deux fois plus important que ceux où au moins un partenaire extériorise, selon l’étude, qui a porté sur 192 couples américains pendant 17 ans, au sein d’une petite ville du Michigan.

Sur les 192 couples étudiés, 26 évitaient tout conflit, alors que chez les 166 autres, au moins un des conjoints exprimait sa colère.

« L’émotion-colère, provoquée par un manque de respect, un envahissement de notre territoire, est une énergie disponible que nous pouvons utiliser contre, c’est à dire agressivement, ou pour, en affirmation, pour tenter de rétablir une situation qui ne nous convient pas », déclare Stephen Vasey, sociologue et Gestalt thérapeute.

« Si nous affirmons et exprimons ce qui nous touche si fort ou ce dont nous avons besoin, nous nous exposons, ce qui nous rend vulnérable, (sans défense et sans attaque).

Lorsque nous le sommes vraiment, l’entourage peut accepter notre émotion, même se laisser toucher. Nous pouvons donc nous rencontrer dans la colère. Mais paradoxalement, nous avons difficilement la force d’être vulnérable. Il est alors plus facile de se défendre et de devenir dur, accusateur et agressif. Ce qui nous éloignera douloureusement de l’autre ».

Vous souhaitez piquer une petite crise en toute bonne conscience, vous engueuler dans les règles de l’art ? Pas de problème : filez en Suisse. C’est dans ce petit pays réputé pour son calme et sa neutralité en cas de conflit que, depuis des années,  Stephen Vasey, justement, organise régulièrement des stages où l’on apprend à identifier et contrôler son agressivité.

Comment vous est venue l’idée d’apprendre à se mettre en colère ?

« J’étais d’un naturel flegmatique, prompt à régler mes comptes par l’ironie ou le sarcasme, à l’anglo-saxonne, jusqu’au jour où j’ai rencontré une femme en colère. J’ai réalisé alors combien cette énergie était mal exploitée. La colère est positive, sauf quand il y a dérapage vers l’agressivité, et elle est utile : elle sert à affirmer un besoin, une limite, à défendre son territoire, à se faire respecter, à se protéger. Grâce à elle, le message passe tout de suite. « 

Qu’entend-on par colère chaude, ou colère froide ?

« Quand c’est chaud, on est encore dans le domaine de l’émotion, c’est une charge intense, centrifuge, qui devient un orage, une expression sonore. Expression veut bien dire pression vers l’extérieur. Cela nous met en contact avec notre puissance.

La colère froide est une expression d’impuissance. Elle est cinglante, sèche, détournée. Elle est également toxique et misérable car on cherche à blesser l’autre. On est dans le rapport de force, dans la vengeance, dans le besoin de faire payer. Il n’y a donc aucune force, aucune connexion avec sa propre énergie, puisque pour s’affirmer il faut rabaisser l’autre.

Les gens agressifs se mettent-ils facilement en colère ?

Ils ne se laissent pas aller à une vraie colère, ce serait trop vulnérabilisant, ils crachotent un peu tout le temps. Leur charge émotionnelle est permanente, chronique. La violence caractérise  leur personnalité, leur identité sociale presque. Mais dessous, il y a des strates de blessures, une accumulation de frustrations et de rancœurs.

Le stress, qui est un état de  tension, peut, lui aussi, prédisposer à la colère. C’est une façon de se décharger de ce poids énorme, de cette pression qui nous écrase. La colère est une émotion : dans le mot, il y a  motion, mouvoir, faire bouger, circuler. C’est en ça qu’elle est salutaire.

Perd-on tous ses moyens ?

La plupart des gens vivent mal leur colère, ne l’expérimentent pas de façon consciente, ils sont dépassés. Sachant qu’il y aura des dégâts, ils sont malheureux mais ne connaissent pas d’autre mode d’expression que la brutalité. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui on est plutôt dans le non-dit, par peur de perdre le contrôle, par incompréhension de ses émotions.

Peut-on se mettre en colère par plaisir ?

Oui. Dans le stage, pendant 3 jours, je crée des jeux de rôles qui donnent lieu à des confrontations saines, des joutes où chacun s’affirme. Et c’est un vrai bonheur que d’exprimer une colère assumée, pas nocive, mais forte. On apprend à intégrer ses émotions, à les réguler. On sent monter sa colère, on sait quand, comment, avec quelle intensité, on va la laisser sortir. Elle devient normale et familière : on n’est plus dans l’évitement et la peur, on devient joyeux, détendu, rassuré.

Peut-on tomber malade de ne jamais se mettre en colère ?

Le conflit est une chance d’approfondir une relation. Or la plupart des gens le diabolisent : ils ont peur de se faire avoir, de perdre leur intégrité, de devenir plus vulnérables. Aux Etats-Unis, un consortium d’assurances a fait une étude : les personnes qui refoulent leur colère coûtent plus chers. Ils ont des problèmes cardiaques, des ulcères. Comme ils ne savent pas décompresser, ils se laissent ronger, ils se violentent intérieurement, sont rongés par un mal chronique.

Qui participe à vos stages sur la colère ?

Toutes sortes de gens : les introvertis qui répriment leurs sentiments. Ceux qui ne savent pas réagir à la colère des autres. Les colériques, certaines mères de famille qui se défoulent sur leurs enfants par exemple. Ceux qui, en entreprise, règlent les conflits d’une manière sournoise, indirecte. Et des couples.

Pendant le stage, on avance doucement, on apprivoise cette formidable énergie, on apprend à se relâcher. Puis on étudie nos comportements d’impuissance, nos armes non-avouées, les mots, le ton, la gestuelle. Et aussi les regards, la brutalité, la froideur, le fait de se couper des autres. Car il n’y a pas de doute : contrairement aux idées reçues, c’est bien la colère froide qui engendre la violence, verbale et physique.

(Stages de Stephen Vasey : www.hommefemme.ch et Catherine Vasey : www.noburnout.ch)