A notre âge, on est censées avoir pris du recul, trouvé la bonne distance par rapport aux évènements, petits et grands, faire preuve en permanence d’un flegme quasi britannique.

Les conflits professionnels, les petites disputes familiales,  les  divergences d’opinion amicales sont des situations courantes et archi-connues qui ne devraient en rien nous affecter.

Et pourtant…Les discordes de notre vie quotidienne déclenchent parfois un raz de marée. Angoissés, blessés, ulcérés par les paroles ou le comportement de l’autre, nous sommes saisis par une colère qui nous prend aux tripes et fait dangereusement monter notre rythme cardiaque.

Mais si vider notre sac nous fait momentanément le plus grand bien, ce qui, n’en déplaise à nos amis les psys, reste encore à voir, les dégâts collatéraux sont parfois considérables.

Ne pas déranger S.V.P

Aujourd’hui, dans notre univers policé, le courroux n’a pas vraiment la côte. Il faut mettre nos émotions en sourdine, refouler, dominer, cacher ce que l’on ressent si c’est dérangeant. Tout en décortiquant nos états d’âme avec complaisance dés que l’on croise un divan et une oreille attentive. En clair, nous sommes priées de laisser nos colères au vestiaire.

Tout comme la peur ou la jalousie, la colère est une émotion honteuse, une fille de mauvaise vie. Personne, de nos jours, n’aime les psychodrames. Grimper aux rideaux, verser des torrents de larmes, ou hurler d’énervement, est inefficace, mal vu et dommageable.

Mais ravaler tout ça, ce n’est pas bon non plus. Entre rétention et débordements, il faut trouver le juste milieu, le contrôle technique qui permet une colère adaptée, maîtrisée. Celle qui résout le conflit, nous fait du bien et améliore notre relation à l’autre. S’exprimer sans se laisser dépasser, en un mot gérer, voici la clé d’une sainte colère, juste et constructive.

Les raisons de la colère

Un mari (ou une femme) grognon, une belle-fille insupportable, des voisins sans gêne, un collègue sournois, autant de personnages qui entament une « zénitude » entretenue à grands coups d’Omega 3. Crispé, sourdement irrité, insidieusement miné, le plexus entortillé, un beau jour, sans aucun signe avant coureur particulier, on se lâche : dans une explosion sismique d’une violence inouïe, on crie, on tempête, on cingle, on assène. Envahi par une colère noire, on devient vert de rage et on voit rouge.

Poussée par une force qui nous fait parfois trembler, on jongle avec les adjectifs tranchants et les mots qui tuent. La libération de nos vexations et frustrations diverses nous procure un plaisir quasi orgasmique, c’est un vrai régal.

Pourquoi s’en priver puisque les thérapeutes du monde entier jugent les conflits constructifs  et nous poussent à croiser le fer. Ecouter sa colère est, parait-il, un gage de vitalité, bouillir en silence est mauvais pour le moral et pour la santé. Si nous réprimons notre colère à longueur de temps, nous emmagasinons un stress cumulatif, comme des strates, qui peut nous amener à la déprime.

Par ailleurs cela nous fait courir le risque de disjoncter au mauvais moment et avec la mauvaise personne : un ami qui arrive en retard, un collègue qui vient de bloquer la photocopieuse, un conjoint qui fait une remarque sur la propreté de la baignoire et, vlan, nous rejouons une scène digne de « La mégère apprivoisée », la sensualité en moins…

Serions-nous « borderline » ?

Taxé d’hystérique ou de caractériel, nous adoptons alors systématiquement l’attitude du taureau de base dans l’arène surchauffée : on fonce sur la muleta. Action d’abord, réflexion après, tel est notre credo.

De temps à autre, entre deux crises, une question nous traverse l’esprit : serions-nous « borderline » ? Traduction : irritable, instable, à la limite, entre psychose et névrose. Il est bon de se le demander quand on commence à se fâcher avec quelques personnes en peu de temps. Ce ne sont pas toujours les autres qui ont tort, et nous avons peut-être quelques problèmes émotionnels et relationnels.

Sur le plan strictement médical, voir côté sérotonine et glande thyroïde. Pour les plus « touchés », une thérapie n’est pas de trop. Pour les autres, lucides et courageux, il faut arrêter les frais et réaliser qu’en réalité, notre agressivité nous fait horreur.

Archaïques, ingérables, nos réactions impulsives nous ramènent à un niveau animal : alarme, message, mobilisation d’énergie et aucun raisonnement. L’information captée est minimale mais c’est une question de survie…A nous donc, de savoir faire la part des choses et raison garder : s’exprimer n’est pas se défouler, s’affirmer n’est pas attaquer, combattre n’est pas détériorer.

Savoir gérer

Mais, si on s’interdit de donner à notre agressivité les moyens de se projeter ailleurs, elle reste en nous et fait surgir l’angoisse, le malaise, et tout un cortège de symptômes.

Refouler ses émotions nous amène inéluctablement un jour à somatiser. La colère, tout comme la douleur physique, nous indique que nous sommes blessés, atteints dans notre intégrité.

Cependant tous les conflits ne sont pas légitimes et les débordements n’ont aucun effet réparateur : ni sur l’estime de soi ni sur la relation avec l’autre. Ainsi les thérapeutes parlent-ils de « conflits prétextes », dus à une forte tension, à une montée de stress, qui nous permettent d’évacuer n’importe comment une exaspération ancienne et chronique.

On peut tout dire, à condition de bien le dire. On peut exprimer un sentiment sans sombrer dans le pathos. La règle d’or étant de s’attaquer au problème et non à l’individu. De viser un comportement et non une personne. De ne pas choisir l’option « intimidation », ni l’option « soumission » mais de préférer la discussion. Il faut être clair avec soi-même d’abord, écouter sa colère, la décrypter, identifier le vrai problème.

Crions, hurlons, égosillons-nous à la seule condition de ne pas dévaloriser l’autre, de ne pas tenir des propos humiliants, de ne pas tomber dans la violence qui ne fait qu’envenimer les choses et entretenir notre exaspération.

Donner son point de vue, faire preuve d’empathie, écouter et comprendre, chercher une solution, autant d’attitudes qui permettent de sortir d’une situation compliquée.

Il faut toujours se méfier des réactions à chaud, et si le dialogue n’est pas possible, mieux vaut patienter.

Le temps soigne bien des lésions, épargne nombre de vindictes. Il faut seulement veiller à ce que la colère ne devienne pas frustration et que cette énergie bloquée ne se retourne pas contre soi.

Pour ne pas sauter sur une mine antipersonnel, il nous reste une arme de choix : l’humour. Se moquer, de nous d’abord, de nous surtout,  permet de chasser le stress, de détendre l’atmosphère et de communiquer. Alors, si au lieu de tout dramatiser, nous décidions d’en rire ?

A LIRE :

-« Que se passe-t-il en moi », d’Isabelle Filliozat, Editions Marabout

-« La colère, cette émotion mal aimée » de Serge et Carole Vidal-Graf, Editions Jouvence

-« La barbarie douce » de Jean-Pierre Le Goff, Editions La découverte

-« Bref traité de la colère », de Jean-Pierre Dufreigne, Editions Plon