La tristesse est un sentiment flottant, que nous portons en nous comme un virus dormant, et qui se manifeste quand nous éprouvons un manque affectif ou une impression de solitude. La tristesse se tient à l’arrière-plan, prête à apparaître dés la moindre épreuve.
La tristesse est une émotion naturelle, une émotion négative comme la peur ou la colère.
Etre triste est un état normal, en réponse à un échec (professionnel), à une rupture, une absence, une fatigue morale…
Mais il ne faut pas confondre tristesse et dépression, la première ne traçant pas la route de la deuxième. Et si pleurer peut faire du bien, mieux vaut ne pas trop s’apitoyer sur soi-même.
Un enfant éprouve très tôt de véritables sentiments de tristesse. L’insécurité, des mots violents, des cris, le sentiment d’une injustice peuvent réveiller cette émotion.
S’il est naturel de se sentir triste de temps en temps, il n’est pas normal d’être habituellement triste, et encore moins de se plonger dans sa tristesse.
La culture de la tristesse, très prisée dans la musique, la poésie ou la peinture, manifeste (ou voudrait manifester) une blessure de l’âme et, par un raisonnement un peu déviant, une sorte de beauté due à cet état de frustration ou de blessure. Et nous nous laissons prendre car pleurer sur les autres, en fait, nous permet d’évacuer une petite tendance à la morosité sans vraiment nous sentir concernés.
Justement, l’expression “broyer du noir” rappelle le monde des arts plastiques autrefois : en effet les peintres créaient leurs couleurs en broyant diverses matières. Les pigments, ainsi obtenus, étaient des recettes jalousement gardées. Le noir pouvait être constitué d’ivoire ou d’os brûlé, de charbon, etc…
D’autre part, le noir, qui, dans nos civilisations est la couleur du deuil, rappelle la nuit, le côté lugubre de certaines situations, la douleur, le désespoir.
Mais comment est-on passé de la peinture à l’émotion et donc au cerveau, puisque broyer du noir signifie aujourd’hui “avoir des idées noires”, être mélancolique ?
Dans le “Petit dictionnaire des expressions nées de l’histoire“, Gilles Henry explique que la médecine s’est accaparé cette expression dès le XVIIIe siècle.
En 1771, “broyer du noir” signifiait “digérer” puisqu’à cette époque on pensait que l’estomac écrasait les aliments à la manière d’une meule.
La croyance, erronée, venait de l’Antiquité, et affirmait que les accès de mélancolie étaient provoqués par la sécrétion de bile noire lors de la digestion (d’où l’expression “se faire de la bile” qui signifie se faire du souci).
C’est au XIXe siècle que l’expression “broyer du noir” a pris son sens actuel, c’est-à-dire “se laisser aller à des idées tristes”.
Voici une très édifiante analyse de la tristesse et de sa très humaine « naturalité ».
On peut cependant y lire que cultiver sa tristesse n’est pas « normal » et que pleurer sur soi-même n’ est pas une démarche constructive.
Mais il s’ y trouve aussi un message positif : puisque la tristesse n’ est pas une dépression, si, par chance, sa cause ( absence, fatigue morale, … ) n’ entre pas dans la catégorie de celles qui sont sans appel, elle peut trouver un remède.
Une attention, un petit signe suffisent parfois, suffisent souvent même à faire apparaître des rayons de soleil qui chasseront des nuages un peu trop lourds…
L’ origine de la locution figurée « broyer du noir » pour la tristesse et rapportée ici : la préparation des couleurs par les peintres des siècles précédents, est aussi attestée par Alain Rey dans son Dictionnaire historique de la langue française (Le Robert). Il la date de 1756.
Enfin pour souligner ce qui constitue à la fois la force de l’ Homme et sa faiblesse, j’ aimerais rappeler quelques vers extraits d’ un long poème philosophique « An Essay on Man » consacré à l’ humaine nature, et du à Alexander Pope (1688-1744) qui fut en particulier éditeur de Shakespeare.
« …
Créé maître de tout, de tout il est la proie;
Sans sujet il s’ afflige, ou se livre à la joie;
Et toujours en discorde avec son propre coeur,
Il est de la Nature et la honte et l’honneur. »